L'aérodynamique

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Soufflerie PSA/Renault
(Yves Martin, l'Argus de l'Automobile, 4.9.2003)

Grâce à deux nouvelles souffleries, les constructeurs français disposent d'un matériel à la pointe de la technologie. Le plus performant d'Europe.

En automobile, l'aérodynamisme est très important. Mais, suite à l'effet de sol (le passage de l'air sous la voiture crée des contraintes), il est assez difficile à maîtriser, beaucoup plus qu'en aéronautique. En outre, comme le souligne Jean-Martin Foltz, président de PSA Peugeot Citroën, "l'aérodynamisme d'une voiture est très complexe et intervient sur trois facteurs essentiels : la sécurité, l'environnement et le confort".
La sécurité puisque la voiture doit, à n'importe quelle vitesse et dans toutes les conditions de vent imaginables, conserver son adhérence sur la route. L'environnement car la traînée aérodynamique (qui représente la difficulté de la voiture à pénétrer dans l'air) influe directement sur la consommation de carburant plus elle est réduite, moins la consommation est élevée et plus la pollution diminue. Par exemple, une baisse de seulement 0,02 point pour une voiture possédant un SCx de 0,7 m2 peut générer une économie de carburant d'un quart de litre aux 100 km (à 130 km/h). Enfin, le confort car le bruit engendré par l'air peut se montrer dérangeant.
Seule une soufflerie permet d'effectuer des tests poussés pour mesurer tous ces facteurs. Pour les faire réaliser, les constructeurs français devaient, jusque-là, se rendre dans des pays voisins, faute de matériel approprié sur notre territoire.
"Nous avons voulu éviter d'utiliser les souffleries allemande ou italienne, les plus performantes dans ce domaine", souligne pour sa part Laurence Paye-Jeanneney, administratrice générale du Conservatoire national des arts et métiers.
A l'origine de la création des Souffleries aéro-acoustiques automobiles (52A) de Montigny-le-Bretonneux (Yvelines), le CNAM ne pouvait seul supporter ce projet ambitieux. Un groupement d'intérêt économique (GIE) a donc été créé en mars 2001, avec PSA Peugeot Citroën et Renault.
La facture de plus de 36 millions d'euros, nécessaire à la construction du site, a été supportée à raison d'un tiers pour chaque groupe automobile, le tiers restant étant partagé entre les pouvoirs publics : ministère délégué à l'industrie, ministère délégué à la Recherche et aux Nouvelles Technologies, conseil régional d'Ile-de-France et conseil régional des Yvelines. Et pour Jean-Martin Foltz, président de PSA Peugeot Citroën, l'intérêt de ce nouvel outil high-tech est évident : "Les calculs ne nous suffisent pas, et nous avons besoin d'effectuer des essais en situation réelle".
Le site se compose de deux souffleries. La première, à l'échelle 1, permet de tester des prototypes en taille réelle en assurant une mesure aérodynamique et une autre acoustique. Avec une veine de passage de l'air de 24 m2 de section, elle peut accueillir tous les types de véhicules particuliers jusqu'aux monospaces.
Pour les mesures aérodynamiques, un technicien pulvérise un filet de fumée pour visualiser le défilement de l'air et mettre en évidence d'éventuelles turbulences.
Afin de mesurer l'aérodynamisme dans toutes les conditions, la voiture est placée sur un plateau tournant, de 30° d'angle de chaque côté, afin de simuler la direction du vent.
Des capteurs placés sur le plateau, de 8 mètres de diamètre, enregistrent alors les efforts engendrés sur la voiture. La mesure acoustique est, elle, réalisée par un micro. Ce dernier, placé sur un bras mobile, peut être placé n'importe où autour de la voiture.
Enfin, pour être le plus proche de la réalité, les roues de la voiture reposent sur des rouleaux qui entrent en mouvement afin de simuler le défilement de la route. D'une longueur totale de 6 mètres, ce tapis défilant peut atteindre 200 km/h maximum. Sa texture rappelle celle du revêtement routier afin de créer des bruits de roulement similaires à la réalité. Une trappe a par ailleurs été aménagée sous le plancher afin d'observer le mouvement de l'air sous le véhicule.
Plus petite, la seconde soufflerie est à l'échelle 2/5e. Elle permet de réaliser des mesures sur des maquettes à échelle réduite avant la phase d'élaboration d'un prototype. Dans ce cas, la section de passage de l'air n'est que de 3,84 m2, la vitesse maximale de l'air restant à 240 km/h. Cette soufflerie ne comporte toutefois pas de tapis roulant.
Avec ces deux nouvelles souffleries, les constructeurs français et les futurs ingénieurs du CNAM disposeront d'un outil à la pointe de la technologie. Louis Schweitzer, PDG du groupe Renault, précise même que "cette soufflerie, nous la savons la plus performante d'Europe.
Si pour l'instant, les 52A n'emploient que sept salariés, à terme, treize techniciens et ingénieurs y travailleront à plein temps. Et nul doute qu'ils ne manqueront pas de travail puisque, à lui seul, PSA Peugeot Citroën a l'intention de réaliser 260 essais par an dans cette nouvelle structure !

Principe de fonctionnement

Les souffleries sont utilisées pour l'étude des formes aérodynamiques d'une voiture.
La soufflerie se compose de trois secteurs principaux : la création du courant d'air avec la partie ventilateur (zone insonorisée), la veine de circulation où la veine d'air est guidée pour qu'aucune turbulence ne se crée et la plate-forme où est installée la maquette ou le véhicule.
La taille de la maquette peut varier entre l'échelle 1/5e et la taille réelle (échelle 1).
Un ventilateur géant de plusieurs mètres de diamètre crée un flux d'air dont la vitesse peut atteindre 250 km/h dans les souffleries les plus modernes.
Selon l'installation, il est même possible de faire varier la température de l'air, de simuler de la pluie, des tempêtes de sable, etc.
Les ingénieurs peuvent ainsi réaliser de nombreux tests dans des situations quasi réelles avant de finaliser un prototype. Cela permet de déceler d'éventuelles infiltrations d'eau, de tester les démarrages à froid.

Il ne manque pas d'air

Centre névralgique de toute soufflerie, le motoventilateur peut être très impressionnant.
C'est le cas de celui qui équipe la "grande" soufflerie qui affiche une puissance de 3800 kW et engendre une vitesse d'air de 240 km/h lorsqu'il tourne à un régime de 282 tr/min. Son diamètre extérieur total est de 8,3 m et il se compose de neuf pales de 1,65 m de long.
Il en résulte un bruit important, qui a nécessité un traitement acoustique spécifique. A vide, son bruit de fond est de 40 db(A), le maximum étant relevé à 160 km/h avec 58 db(A), ce qui le rend presque inaudible, car il est couvert par le bruit de l'écoulement de l'air.

L'aérodynamisme, facteur de consommation

La voiture est soumise à une résistance à l'avancement due à l'air.
Ce frein aérodynamique dépend du Cx, de la surface frontale du véhicule et est proportionnel au carré de la vitesse : plus on va vite, plus la résistance est importante.
Le Cx est donc déterminant pour assurer une bonne pénétration dans l'air. Par exemple, un poids lourd de 35 t offre un Cx de 0,9 ; une Audi A8 de 0,29 ; une Porsche 911 de 0,29 et une Mercedes C 200 D de 0,3.
Outre la surface frontale, l'inclinaison du pare-brise est déterminante. Si une voiture possède un pare-brise incliné de 50° et un Cx de 0,345, ce dernier passera à 0,340 pour une inclinaison de 60°. Par contre, pour une inclinaison de 30°, le Cx sera de 0,469 et à 0° de 0,369.
Plusieurs facteurs influent sur le Cx. Ainsi, un abaissement de l'assiette permet une diminution d'environ 5 % ou des enjoliveurs lisses un gain de 1 à 3 %. A l'inverse, des projecteurs escamotables handicapent le Cx jusqu'à 10 %, des pneus larges l'augmentent de 2 à 4 % et le transport d'une planche à voile sur le toit jusqu'à 40 %... ce qui se traduit par une surconsommation pouvant atteindre 2 litres aux 100 kilomètres.

Technique - Des marchands de vent
(Patrick Camus, Auto Hebdo, 10.3.1983)

Aéro quoi ?

Aérodynamique... "Qui a trait à l'étude de l'air en mouvement. Permet d'évaluer les forces nées de l'action de l'air sur les différentes parties de l'avion et d'en déduire les efforts de traction, de compression et de torsion correspondants. Elle donne en particulier les valeurs de portance, de déportance et de traînée."
Voilà, en deux phrases, la définition encyclopédique de cette science offerte par le Larrousse universel de 1948. Autant vous dire que l'automobile ne semble pas très concernée ! Pourtant, quelques années plus tard, un homme se battait pour faire admettre l'existence de ces forces au niveau de la voiture. Ce que certains pensaient être un art, un exercice de style pour carrossier, Charles Deutsch le considérait comme science exacte. Au même titre que l'avion, l'automobile se déplace dans l'air et ce déplacement entraîne des réactions complexes non seulement au niveau du fluide, l'air, mais également sur le solide, la voiture.
Forces longitudinales (la traînée) et verticales (portance et déportance) et latérales. Pour une voiture de compétition ces phénomènes sont capitaux puisqu'ils conditionnent tenue de route et performances tandis que la voiture de série en souffrira au niveau de la stabilité et, surtout, de la consommation d'essence. Le Gaspi ne vit que par trois facteurs : l'énergie consommée en accélération (aussitôt perdue dans les freinages), la résistance au roulement et la traînée. Le fameux Cx.
Or, s'il est relativement aisé de calculer la portance d'un avion en fonction de conditions données, il est quasi impossible de quantifier les forces soumises à une carrosserie à cause de la complexité de ses formes, des conditions de roulage jamais parfaites ni reproductibles à 100 % et de l'existence d'une masse d'air peu concernée par la voiture en mouvement mais néanmoins néfaste : celle qui glisse sous le plancher et que l'on appelle la couche limite. Dès lors, rien ne vaut la soufflerie et les essais routiers.
Aujourd'hui, c'est décidé. Grâce, ou à cause de Chapman et de ses "wing-cars", l'automobile a droit de cité dans le domaine aérodynamique et chacun, petit artisan vivant de la course, géant de la série ou scientifique aguerri, va essayer de résoudre au mieux le problème n° 1 : parvenir à ce que la combinaison des forces dégagées par l'air avec les réactions du sol favorise la stabilité de la voiture en mouvement.

Accusé de tous les maux de la terre durant sa vie, l'effet de sol vient de mourir de sa belle mort.
Rendons-lui un dernier hommage, ne serait-ce que pour ceux qui furent à son origine.

C'est bien connu, le plus mauvais des hommes devient un saint dès son dernier souffle ! Admiré à sa naissance, critiqué le jour où il s'est imposé, l'effet de sol, n'a pas survécu à la grogne des pilotes et au raz de marée de J.-M. Balestre le réformateur. A cause de lui, l'effet de sol pas Balestre, les temps au tour du circuit Paul-Ricard ont chuté de 15 secondes en dix ans. A cause de lui, les F1 avaient gagné 28 km/h de moyenne sur un tour, alors que leur vitesse de pointe restait la même. La belle invention ! Adieu courbes rapides, virages et dérives.., tout se passait pied au plancher en vertu d'une adhérence démoniaque.
Par quel miracle en étions-nous arrivés là ?
Nous sommes dans la première moitié des années 70 et il faut bien reconnaître que les ingénieurs automobiles se trouvent confrontés à un problème épineux : est-ce la peine d'augmenter la puissance d'un moteur dans la mesure où la voiture ne permet pas de l'exploiter ?
Accélérations, freinages, dérive.., les pneus n'en peuvent plus de glisser et de transformer les chevaux-vapeur en fumée bleutée. La question resta posée longtemps, et les monoplaces continuèrent à évoluer dans le cadre d'un compromis à cette époque favorable à la puissance que les pilotes avaient de plus en plus de mal à maîtriser. Jusqu'au jour où... L'on savait qu'une automobile, à fortiori de course, était soumise à des forces verticales et transversales plus ou moins élevées, mais dont la plus néfaste était la "portance", cette force perpendiculaire au sens de la vitesse, dont la première conséquence était de délester la voiture. La direction devient légère, la stabilité en ligne droite fait défaut et la plus petite bosse fait figure de dangereux tremplin.
Que faire pour gagner en adhérence ?
Augmenter les appuis. Pour cela, deux solutions : augmenter le poids de masse (châssis, moteur, lest...), ce qui est très gênant pour les performances, notamment en virage, ou augmenter le poids adhérent. Cette notion fut introduite par les ailerons, puis par les carrosseries en coin. Le résultat escompté était bien là, mais à quel prix Les 120 kg d'appui d'un aileron se payant par une traînée (le Cx) limitant la vitesse de pointe à une valeur ridiculement basse.

Quelque chose pour rien

Au château de Ketteringham Hall, repère discret, mais non dépourvu d'allure des bureaux d'études Lotus, quelques cerveaux effervescents tentaient de résoudre le problème. Chapman, Southgate et Wright (en consultant extérieur) planchent sur un cahier des charges bien particulier et intitulé "Quelque chose pour rien".


March 701, Espagne 1970 (Jackie Stewart)

Ce Peter n'en est pas à son coup d'essai. Déjà, en 68/70, il avait imaginé la March 701 avec des structures inférieures capables d'augmenter les appuis, mais l'expérience n'était guère concluante. Pourtant, cette idée de réservoirs latéraux carrossés en aile d'avion inversée était la bonne...
Il n'y manquait que les jupes pour rendre le travail de cette aile totalement indépendant de l'air extérieur Dans un premier temps, l'on borda le ponton de crin, puis de jupes en Lexan pour en arriver aux vraies jupes rigides doublées de patins en tungstène.


Lotus 79, Belgique 1978 (Mario Andretti)

Avec sa Lotus 79, Chapman venait de créer la première des wing-cars. Une carrosserie fine, un carénage moteur-boïte, des suspensions à basculeurs, la 79 allait dominer la saison de la tête et des épaules. Désormais, à appui identique, il est possible de régler les ailerons avec moins d'incidence, diminuant d'autant la traînée et augmentant d'autant la vitesse de pointe.


1 - Moustaches avant en angle delta, le nez est plus court et plus étroit que sur la 80.
2 - Accélérateur de flux dans le tunnel Venturi.
3 - Les pontons latéraux sont formés par deux ailes s'arrêtant en avant des roues arrière,
ce qui fait que le flux d'air est perturbé par la suspension arrière (4), les amortisseurs (5), les disques et la boîte de vitesses (6).
7 - Aileron arrière conventionnel.

1 - L'échancrure dans la calandre. On distingue les deux flux d'air existants grâce aux deux jupes rigides (2)
qui travaillent suivant les même principes que sur les pontons latéraux d'une wing-car.
3 - Flap central au milieu de l'échancrure.
4 - La partie inférieure est entièrement carénée.
Il y a de vraies ailes latérales comme sur la 79, l'air est dégagé vers l'arrière et le carénage en forme divergente.
5 - Ouverture pour les porte-moyeux, aménagée de telle sorte que la voiture ne subit aucune turbulence due aux pneus.
6 - Flap arrière pour contrôler la dépression comme un spoiler.

"Quelque chose pour rien" disait Chapman. "Rien pour beaucoup" dirions-nous.

De quelle façon Wright était-il venu à assimiler cette notion de déportance "gratuite" ? En observant une aile d'avion. Dès 200 km/h, une aile d'avion subit deux phénomènes aérodynamiques majeurs : sur sa face supérieure (l'extrados), l'air accélère et créé une dépression ; sur sa face inférieure (l'intrados), l'air ralentit et créé une surpression. Or, la force engendrée par la dépression est pratiquement double de celle engendrée par la surpression.
Bilan : l'aile d'avion est aspirée à 75 % par la surface supérieure de ses ailes et porté à 25 % par la surface inférieure.
Retournons cette aile. Les forces demeurent identiques mais s'inversent : l'extrados va aspirer l'avion vers le sol et plus l'on rapproche ce profil du sol plus le flux d'air inférieur accélère et plus la dépression s'accroît.


L'origine de la déportance, donc de l'effet de sol et son fonctionnement, sont analogues à ceux d'une aile d'avion placée à l'envers.
Extrados = dépression = déportance ; Intrados = surpression = portance.
La dépression crée une force double de celle provoquée par la surpression. Un avion est donc aspiré dans l'air et non porté.


Ceci est valable pour les pontons mais également pour les pontons avant et arrière qui ne sont pas poussés vers le sol mais aspirés.
Rapprocher l'aile inversée du sol augmente l'accélération du flux d'air sur l'extrados et accroît la dépression.

Coupons donc une tranche d'aile et collons-la de part et d'autre d'un châssis. Oui mais voilà... 50 cm d'aile d'avion, ça ne sert strictement à rien sinon à créer d'énormes turbulences. Une aile d'avion n'a d'efficacité que grâce à sa grande longueur qui parvient à maintenir bien séparés la dépression du dessus et la pression du dessous. Au-delà de cette partie efficace c'est l'anarchie, le tourbillon marginal que l'on peut observer quelques fois lors du décollage d'un avion. Or, greffer un moignon d'aile inversée revient à ne conserver que la partie inefficace !
A moins de porter ces moignons d'aile à 4 mètres, il fallait donc trouver un système d'étanchéité et Chapman a parfaitement compris que sa tranche d'aile d'avion avait tout simplement besoin de deux plaques pour empêcher les dépressions inférieures d'être comblées par les surpressions supérieures. Le cloisonnement par les jupes était né.


La vitesse atteinte par l'air ainsi prisonnier peut dépasser les 500 km/h. Sur ce schéma, l'air est canalisé par les jupes.


Pourquoi les jupes ? Parce que la surpression de l'intrados a la fâcheuse manie de vouloir combler la dépression de l'extrades.
Sur une aile d'avion le phénomène est limité grâce à la grande longueur du profil mais existe sur les bords extérieurs.
Une tranche d'aile de 45 cm fonctionnant comme ce bord, il a fallu séparer les trajectoires des deux flux.
Ce que Chapman a réalisé avec les jupes. Sans elles, c'est l'anarchie et seulement 35 % d'effet de sol.
Le même système est appliqué sur l'aileron arrière dont les "tôles" latérales sont appelées fences.


Un fond plat à proximité du sol et isolé par des jupes est également déporteur si on le dispose en position "piqueuse" vers l'avant.
Sans jupe, le phénomène est amoindri dans une grande proportion.

Dès lors, le phénomène allait être perfectionné, peaufiné et les dépressions capables d'entraîner un effet de succion représentant 2 500 kg à 300 km/h. Le Cz passant de - 0.5 à - 1.7 à seulement 180 km/h. Plus qu'il n'en faut pour qu'un avion ne décolle !
"Et ceci compte tenu des variations d'assiette", rectifie Sylvain Crosnier. "Roulis, cabrage, plongée... entraînaient des cassures dans l'étanchéité et les valeurs de crêtes obtenues en conditions idéales pouvaient atteindre 3 000 kg."
Soit, avec la voiture, l'essence et le pilote, une masse totale de 4 000 kg ! De quoi rêver, mais aussi de s'effrayer.
"Au début", poursuit Gilles Schaffer, "nous avons assisté à ce que j'appellerai des gags : direction qui se bloquait, couples de coques qui se criquaient, pontons qui s'affaissaient... Je me souviens d'un constructeur qui m 'avait traité de plaisantin lorsque je lui ai annoncé 600 kg d'appui par profil de ponton. Cette année, nous en étions à 1 250 ! Au fil des années, ils ont, malgré tout, compris, et prenaient conscience des véritables problèmes."
Ces problèmes, c'étaient surtout les accélérations transversales subies par les pilotes. Des forces proches de 3 G. C'était des contraintes mécaniques multipliées par cinq sur des éléments de suspension dont le matériaux était resté le même qu'à l'époque des 600 kg d'appui. C'était également de brusques changements d'adhérence lorsque les conditions de roulage n'étaient pas excellentes. Un peu trop de roulis et la jupe intérieure se lève, perdant son rôle d'étanchéité. Dans ce cas, le Cz diminue de 5 à 10 % et la dérive prend des proportions inquiétantes.
Qu'importe ! Course après course, séance de soufflerie après séance de soufflerie, les ingénieurs réussissaient à parfaire leur science à tel point que les bonnes F1 de 1982 avaient pratiquement perdu 70 % de leurs appuis extérieurs pour n'obtenir de tenue de route que par ce puissant effet de sol. Au bout du compte, la wing-car devenait quasi parfaite, le seul point noir restant les mouvements de caisse parasites.


Jusqu'au jour où les forces verticales devinrent si importantes que les ingénieurs butèrent sur une nouvelle difficulté : le pompage. Soit du fait d'un léger accident de terrain, soit du fait de la croissance de la charge aérodynamique, les suspensions s'écrasent, fléchissent, entraînent les profils à fleur de bitume et le beau phénomène de succion se transforme en vilain tourbillon l'espace de quelques dixièmes de seconde. Les filets d'air inférieurs décrochent, soulagent la voiture de leurs contraintes et la caisse remonte de quelques centimètres. De là, la déportance reprend, les suspensions s'écrasent, ramenant l'aile trop près du bitume, d'où nouveau décrochage... La piste prenait des allures de tôle ondulée plus qu'inconfortable. Que faire ? Supprimer toute possibilité de variation de hauteur de caisse ; c'est l'apparition des suspensions en béton et des colonnes vertébrales en coton. Une solution techniquement peu élégante dans la mesure où elle engendre d'importantes fluctuations d'adhérence sur sol irrégulier.


Correcteur d'assiette hydraulique Renault

Pour sa part, Renault détenait peut-être le remède miracle en étudiant un correcteur d'assiette hydraulique fixant la garde au sol à environ 8 cm.

Et demain ?

Evidemment, tout ne va jamais pour le mieux, même dans le meilleur des mondes et l'effet de sol fut longtemps la bête noire de certains constructeurs. Si quelques-uns avaient compris la nécessité d'études en soufflerie très approfondies, d'autres, sans moyens, jouaient de la tôle et du rivet pop. Or, pour bien fonctionner, ce phénomène ne souffrait aucune improvisation. Suspension avant et arrière très dégagée, aile sans rivet, excellente étanchéité des pontons, freins dans les roues, échappements spéciaux, carénage moteur-boîte intégral, etc. la perfection.


Brabham BT 48, Belgique 1979

L'idée première de Chapman, puis plus tard de quelques-uns de ses adversaires, était la réalisation d'une monoplace totalement démunie d'appendices extérieurs, moustaches, ailerons et l'apparition de la Brabham 48, de la Lotus 80, puis de l'Arrows A3 laissait entrevoir une telle issue. Pourtant, personne n'y parviendra, et encore moins les auteurs de la JS19. Ceci pour plusieurs raisons.
La première réside dans le fait que l'aileron arrière, aussi peu cambré soit-il, joue non seulement un rôle "d'équilibreur" aérodynamique, mais également celui d'un amortisseur aérien que les pontons déporteurs ne proposent pas.
La seconde raison se situe dans un accord parfait et naturel entre flux supérieur et inférieur. En remplaçant l'aileron classique par un bavolet intégré le risque était grand de voir disparaître cet accord obtenu avec difficulté.
Une troisième raison
nous est apportée par la situation précise de la charge verticale provoquée par l'effet de sol : entre le premier tiers avant et le milieu de l'empattement. Il était donc obligatoire d'apporter une correction de charge et une modification de la répartition des masses afin de limiter le survirage. Bien sûr, l'on chercha à modifier la position du centre de pression en reculant les pontons, mais le flux d'air butait sur d'inébranlables obstacles tels que les arbres de transmission et les triangles arrière inférieurs.
Pouvait-on alors envisager une amélioration de l'effet de sol ? Pourquoi pas. L'industrie aéronautique existe depuis soixante ans, et les équipes de recherches se complètent de jour en jour. Le peaufinage du matériel existant était largement envisageable, mais aussi de nouvelles idées. C'est ainsi que des chercheurs se sont aperçus qu'un avion pouvait décoller sur une plus courte distance dès lors que les réacteurs crachaient sur les ailes.
"Tout progrès est question de temps, de mise au point et d'argent", précise Crosnier, "et la S.E.R.A. possédait bien quelques petites recettes dans ses cartons."
A commencer par les "soufflages" dans les profils de ponton : la surface de l'aile interne est coupée pour permettre un passage d'air complémentaire. Ce que l'on voit sur la plupart des avions modernes et sur quelques ailerons arrière.
"En voyant beaucoup plus loin", poursuit l'ingénieur Schaeffer, "et compte tenu d'une certaine stabilité des règlements techniques, on pouvait réaménager totalement la Formule 1 en fonction de son aérodynamique."
En effet, étant donné le site avancé des appuis verticaux, pourquoi ne pas imaginer le profil déporteur ailleurs qu'entre les roues ? Puisque les lois physiques sont immuables, modifions ce qu'il y a autour, c'est-à-dire la voiture tout entière. Déplaçons le centre de gravité, abandonnons le moteur central arrière pour le moteur central, ou avant, pour exploiter une déportance phénoménale et obtenir une répartition des masses de 50/50 au lieu de 35/65 telle qu'elle était. Une idée comme une autre, comme il en vient tous les quinze ans... mais les contraintes de la F1 moderne interdisent désormais tout caprice. Voyez la 6 roues Williams, le double châssis de Chapman.
"La F1 est un sport de risques pour les pilotes, mais aussi pour les ingénieurs. Aujourd'hui l'on pense d'abord aux résultats, donc aux solutions techniques éprouvées".
Pas sûr. Avec la suppression des jupes, les ingénieurs se retrouvent aujourd'hui dans un cul de sac dont ils vont devoir sortir d'ici six mois. Si, dans un premier temps, le championnat du monde se courra avec matériel recyclé, il n'y a plus aucune raison de conserver les bases techniques actuelles : suspensions dures, carrosseries carrées, coques étroites... Le Cz est divisé par trois, le Cx va regrimper vers des sommets vertigineux, la vie recommence sous une autre forme.
Sera-t-il judicieux de conserver des solutions envisagées sous le règne de l'effet de sol ?
Non, et les domaines devenus mineurs par la force des choses sont devenus majeurs.
Tout ce que l'on a sacrifié pour les jupes sera reconsidéré, jusqu'aux moteurs en V, atmosphériques ou turbo, conçus pour le seul dieu Eole. Non, le turbo n'est pas condamné à mort dans la mesure où son surplus de cavalerie servira toujours à tirer un aileron plus cambré que celui d'un Cosworth, mais le rapport des forces a bigrement changé. Quelques bons vieux 12 cylindres à plat doivent y songer...
En fait, il faudra rechercher une nouvelle voie et celui qui voudra à tout prix obtenir autant d'appui avec un fond plat qu'avec les jupes le paiera par un Cx catastrophique. Le résultat de l'opération sera donc nul, autant se dire que les pontons sans jupe ne servent que de coffres à échangeurs ou à injection électronique.
"La seule chose qu'il est nécessaire de garder à l'esprit est la possibilité de récupérer de la déportance dès lors que le plancher d'une F1 est en défilement par rapport au sol. Il faut connaître ce phénomène, mais pas obligatoirement l'exploiter. En outre, ce nouveau règlement nous paraît relativement bien écrit, c'est-à-dire difficilement contournable. Mais vous savez, c'est un règlement... Trois personnes ont mis trois mois à le concevoir, cinquante ingénieurs mettront cinq ans à le démolir ! Les interprétations possibles sont limités au maximum profiter de l'arrondi de 5 cm de rayon pour caréner l'arrière du fond plat en forme d'aile inversée ou disposer le fond plat en position "piqueuse" par rapport au sol. C'est peu et en tout cas bien insuffisant pour ceux qui pensent retrouver les appuis d'antan."
Et pourtant, les puissants moteurs suralimentés vont bien devoir en retrouver de la déportance, sinon à quoi bon posséder 6 ou 700 ch si on ne peut les transmettre à la piste. Rien que pour cela, le recours aux gros ailerons, ou à une carrosserie en angle très ouvert sera obligatoire. Techniquement nous sommes face à un retour en arrière magistral, mais aussi à un regroupement inespéré de toutes les voitures constituant le plateau d'un grand prix.
Lors de ses récents essais privés, Lotus nous a permis de voir un fond plat incliné vers l'avant et il est vrai que cette solution autorise une légère déportance, mais à une condition : que le plancher soit suffisamment large pour empêcher le flux inférieur de se transformer en gigantesque turbulence de "bout d'aile". Les jupes ne sont plus là pour l'étanchéité !
Qui dit plancher large dit ponton... mais à quoi bon les conserver, à moins d'être turbo ?
Les monoplaces à moteur atmosphérique vont donc changer d'esthétique et prendre des allures de guêpes, un peu à la mode 75/76/77. Il faut remarquer qu'à cette époque l'aérodynamique n'était pas le souci majeur des ingénieurs, les lignes 83/84 seront donc plus fines, plus efficaces. Dans une certaine mesure contraints de conserver leurs pontons "because manque de place", les turbos auront la possibilité d'exploiter le fond plat "piqueur" et obtiendront une déportance supérieure à celle d'une voiture à taille fine.
Deux voies peuvent se dessiner. Soit l'intégralité du plancher est plane et un correcteur d'assiette hydraulique (merci Renault) se chargera de maintenir une position piqueuse en toute occasion, soit l'intégralité du fond plat, y compris l'ensemble moteur-boîte, est inclinée vers l'avant. Dans ce cas, les pilotes peuvent se réjouir de la suppression des jupes puisque la position piqueuse ne pourra être maintenue en permanence que grâce à... l'absence de suspension ! Vous le voyez, rien n'est simple, ni parfait.
Pour Michel Têtu, l'ingénieur de développement châssis de la régie, le correcteur hydraulique sera de toute évidence une bonne chose.
"Cabrage à l'accélération, plongée en freinage, changement d'adhérence en courbe, le manque d'effet de sol nous provoque un déséquilibre complet qui affecte non seulement la motricité, mais aussi la stabilité du train avant. La correction hydraulique fixant la hauteur de caisse de façon permanente limitera ces transferts de masse très sensiblement."
Les ingénieurs n'ont pourtant guère à parier sur un amortissement nul, pertes d'adhérence, mauvais contrôle de retombée de la voiture sur les inégalités de la piste, etc. tout pour une motricité déplorable. L'effet de sol n'étant plus là pour écraser les pneus au sol, il ne reste plus qu'à assouplir les débattements de suspension.



Des ailerons pour plaquer la voiture ? Certes, mais le "chasse-neige" de De Angelis ne dépassait pas les 260 km/h sur la ligne droite du Mistral !
Alors, peu de Cz pour peu de Cx ou beaucoup de Cz pour beaucoup de Cx? Non non, ne cherchez pas. La F1 83 marque le début d'une nouvelle cuisine, aux ingénieurs de déterminer les meilleurs ingrédients.
Les études en soufflerie demeureront-elles rentables ? Certainement pas et les modestes constructeurs ne se sentiront plus obligés d'y sacrifier les trois sous qu'il leur restait en poche.
"Les grosses améliorations de performances ne viendront plus de nous", conclut l'équipe de la S.E.R.A. "Pour nous, la suppression des jupes revient à mettre au placard des années d'études et d'expérimentation. C'est désagréable et stimulant à la fois."
Mais n'est-ce donc pas l'officialisation de leurs recherches, la reconnaissance de leur science fantastique et de leurs talents ?

Deux variantes légales pour récupérer une partie de la déportance disparue et diminuer le Cx causé par un gros aileron arrière.
Dans les deux cas, l'effet de venturi fonctionnera d'autant mieux que le plancher sera large, faute d'étanchéité latérale.
A utiliser pour des monoplaces contraintes de conserver les pontons actuels, donc les turbos.

a) Fond plat avec caisse en position (piqueuse).


b) Fond plat jusqu'à l'aplomb avant des roues arrière. Ensemble moteur-boîte relevé vers l'arrière avec carénage inférieur en aile inversée.

Sur ce schéma, nous avons matérialisé les filets d'air.
Le flux supérieur lèche la carrosserie, est perturbé par les ailerons constitue, à l'arrière, la traînée.
Le flux inférieur, prisonnier du ponton, subit une accélération (plus de 500 km/b), puis une détente.


1. Aile inversée
2. Jupe et panneaux d'étanchéité pour éviter aux forces positives de contrarier les forces négatives.
3. Les forces positives, la portance, sur ce schéma, égales au tiers des forces négatives, seront majoritaires sur une F1 à fond plat.
D'où la nécessité d'ailerons très cambrés. La traînée (Cx) en sera d'autant augmentée.
4. Zone de turbulences provoquée par les formes de la carrosserie, la portance des ailerons et, dans une moindre mesure,
la traînée induite de l'effet de sol. A 300 km/h, cette résistance à l'avancement absorbe 510 ch.
Le Cx en question


Coefficient de pénétration dans l'air, résistance à l'avancement, frein aérodynamique, tout est bon pour définir cette gangrène de l'automobile. Comme toutes les forces, engendrées par le glissement du véhicule dans l'air, le Cx est proportionnel au carré de la vitesse. Sur votre Renault 5 GTL il vous fera consommer 1 à 2 litres de super, sur votre Formule 1 il nécessitera 85 à 90 % de la puissance de votre Cosworth. D'où le combat actuellement mené par certains et rares constructeurs de série, et l'apparition des voitures dites "à effet de sol".
Formule pour calculer la force appliquée par l'air sur un véhicule en déplacement :
Fx = 1/2 P S Cx V2
Fx : Force de traînée, en N ; P : masse volumique de l'air mètres carrés (1.225 kg/m2) ; S : surface de référence (surface frontale) en m2 ;
V : vitesse du véhicule ; Cx : coefficient aérodynamique de traînée
Formule pour calculer les forces verticales :
F2 = l/2 P S C2 V2
A vos souhaits !
Après avoir appliqué la formule magique qui vous permettra d'obtenir la valeur des forces engendrées par l'air sur votre voiture, observons quelques valeurs de Cx.
Un poids lourd de 35 tonnes : 0.9 ; une BMW 525 : 0.43 ; une Audi 100 : 0.30 ; une F1/82 : 0.624 et une F1/68 : 0.45.
Quelles disparités ! Comment expliquer qu'une Mercedes ou une BMW alignent un Cx de 0.45/0.43 alors que l'Audi se contente de 0.30 ? Les porte-à-faux sont identiques, l'inclinaison du pare-brise, le coffre long, les dimensions... tout y est relativement semblable malgré une réduction de Cx de 25 %.
"Tout s'explique par un épurement de l'écoulement de l'air sur la partie supérieure de la carrosserie. Une voiture en déplacement est un obstacle que l'air cherche à contourner. Pour ce faire, il va accélérer autour de la carrosserie et cherchera aussitôt à se tranquilliser. Accélérer, il le fait très bien, se tranquilliser, il le fera d'autant plus mal qu'on lui proposera des trajectoires aberrantes accidents de formes, joints, cornières, gouttières, poignées, grilles, angles vifs... Autant de choses qui créent des tourbillons et polluent l'écoulement de l'air sur l'arrière de la voiture. Sur l'Audi 100, la réduction du Cx ne relève que de détails étanchéité des joints, glaces affleurantes, hauteur du coffre... Il y a quelques années, lorsque l'on parlait d'un Cx de 0.30 les spécialistes voyaient une voiture en forme de goutte d'eau et bien non ! L'Audi reste de formes classiques et un carénage inférieur bien étudié permettrait de descendre à 0.27."
Quant à la Formule 1, c'est carrément du délire : 0.624. Pneus larges, à l'extérieur de la carrosserie, suspensions en plein écoulement, cockpit ouvert, radiateurs volumineux (traînée de refroidissement importante), les causes sont nombreuses. Le point le plus capital est toutefois le Cz (forces verticales).
Ces charges aérodynamiques sont énormes et ont une contrepartie non négligeable sur le Cx en ce sens que les efforts verticaux créent une divergence des écoulements avant et arrière. Cette traînée induite s'ajoute alors à la traînée d'origine, causée par les formes anguleuses de la carrosserie.
Que faire pour limiter le Cx et augmenter le Cz ? Chapman l'a démontré de toute beauté. Aujourd'hui pour rien.
Influence de la déportance (Cz) sur les performances d'une F1
Le circuit de référence est le Paul Ricard (5 800 mètres)
Cz- 0.5- 1.0- 1.5- 2.0- 3.0
Temps au tour1'41"91'38"51'36"31'33"71'30"5
Vitesse maxi306 km/h
Vitesses dans Signes212 km/h236 km/h266 km/h286 km/h291 km/h
Accélération latérale1.9 g2.4 g2.9 g3.4 g3.5 g
Fraction de temps oùle liote
est pied au plancher
56 %62 %66 %70 %73 %

Influence du poids sur les performances d'une F1Influence de la puissance du moteur
Poids515 kg550 kg585 kgPuissance500 ch550 ch
Temps au tour1'37"51'38"51'39"4Temps au tour1'38"51'37"6
Vitesse maxi306 km/hVitesse maxi306 km/h316 km/h
Vitesses dans Signes243 km/h236 km/h232 km/hVitesses dans Signes236 km/h239 km/h
Vitesse dans Pont93 km/h92 km/h91 km/hVitesse dans Pont92 km/h92 km/h
Consommation55 l55 l54 lConsommation55 l58 l

Influence du Cx sur les performances d'une F1
Cx0.40.450.50.60.7
Temps au tour1'36"71'37"61'38"51'40"61'42"7
Vitesse maxi327 km/h316 km/h306 km/h289 km/h285 km/h
Vitesses dans Signes241 km/h238 km/h236 km/h233 km/h230 km/h
Vitesse dans Pont92 km/h
Consommation55 l54 l55 l56 l57 l


Qui est la S.E.R.A. ?

Fondée en 1962 par Charles Deutsch, la Société d'études et de réalisations automobiles (mais nous pourrions également l'appeler Société d'études et de recherches aérodynamiques) se compose aujourd'hui d'une équipe maîtresse de quatre personnes : Robert Choulet comme directeur technique, François Sylvain Crosnier pour l'aérodynamique, Gilles Schafer pour la dynamique et un nouveau venu, Jean-Louis Favero, chargé de la sécurité et des véhicules industriels,
Autour de cette équipe gravitent d'autres ingénieurs (ils sont dix au total) ainsi qu'un certain nombre de dessinateurs, de maquettistes, de secrétaires, etc. Vingt-trois personnes en tout.
Côté moyens d'études et de calculs, l'ordinateur règne en maître. Il suffit de savoir pianoter. Au cas où un problème s'avère particulièrement ardu, on branche l'ordinateur personnel sur le terminal éléphantesque de l'université de Paris sud (la faculté d'Orsay)... Tout a une solution.
Sur le plan pratique, la S.E.R.A. se repose sur la soufflerie Eiffel, qu'elle "exploite" régulièrement. Très rétro, cette soufflante, mais super ! Du moins est-ce l'avis de Crosnier.
"C'est l'une des premières souffleries installées dans le monde et sa précision nous étonne encore aujourd'hui. Nous avons souvent l'occasion d'établir des recoupements de mesures entre Eiffel et la plupart des souffleries privées, beaucoup plus modernes, et aucune "panne " n'est relevée."
De ce tunnel venteux, à l'échelle 1/4 ou 1/5, sont sortis de nombreux projets et quelques réalisations à succès : Porsche Le Mans, Porsche CANAM, CD, Ligier JS6/7/9 et 11, Alfa proto 33, TT12, Alfa F1177, 179...
C'est certainement la voiture de M. Tout-le-Monde qui bénéficiera le plus des compétences de la S.E.R.A. mais là, la discrétion est de rigueur. Disons que deux constructeurs français font appel à ses services dans l'incognito tandis que quelques étrangers n'hésitent pas à officialiser la collaboration, comme Opel et Audi.
"La mort de l'effet de sol en Formule 1 est la preuve de l'existence du phénomène aérodynamique", avoue Sylvain Crosnier, "c'est donc la reconnaissance d'une nouvelle science appliquée à l'automobile et de notre raison d'être. Lorsqu'en 1973 nous proposions notre collaboration à des constructeurs pour des carrosseries de 0.25 de Cx, ils nous répondaient savoir-faire ou n'en voyaient pas la nécessité. Puis, au fur et à mesure de nos travaux, ils sont venus vers nous, mais les deux ans de retard pris par certains ne se rattraperont pas. A titre d'exemple, on peut citer la colère et la surprise de BMW le jour où ils ont aperçu l'Audi 100. Et il y en aura, d'autres surprises, chez Audi ou chez d'autres !"
A telle enseigne que la plupart des constructeurs de série consacrent aujourd'hui une partie de leur budget aux études aérodynamiques extérieures et même à la création de leur propre soufflerie où, parfois, les ingénieurs de la S.E.R.A. sont appelés en consultation privée. C'est le cas de FIAT à Orbassano, de VW à Wolfsburg, de Mercedes à Stuttgart, de Volvo, de BMW, etc.
Se faire écouter d'un grand constructeur est inévitablement très difficile. Les gens écoutent, mais n'en pensent pas moins. Ils doutent qu'un bureau d'études extérieur puisse amener autre chose que ce qu'ils connaissent depuis des lustres. Il faut les convaincre tout en se faisant le moins gourmand possible.
"Nous ne sommes pas chers par rapport à l'entretien permanent d'un bureau d'études interne, par contre, nous représentons une charge extérieure, donc supplémentaire. Mais la mentalité change."
Durant ces toutes dernières années, la S.E.R.A. s'est ainsi vue confier d'importants programmes de la part de quelques géants européens soucieux non seulement d'abaisser le Cx de leurs voitures aux environs de 0.18/0.25, mais surtout d'obtenir une parfaite stabilité dans le comportement routier de ces voitures nouvelle génération.
Réalisés en pleine intelligence avec les départements Conception et Style de ces sociétés, ces projets sont déjà réalisés ou en cours d'achèvement et pourront entrer en production dès 1985.
Les deux-roues et poids lourds ne sont pas oubliés puisque S.E.R.A. .est à l'origine du déflecteur de cabine le plus performant (moins 24 % en traînée et moins 10 % en consommation) et d'un projet de "38 tonnes" offrant une grande résistance au renversement réalisé en collaboration avec Renault Véhicules industriels.

Pour la rédaction de cet article, que soient remerciés l'équipe de la S.E.R.A., Lucien Romani, auteur d'une étude sur l'aérodynamique des véhicules de série, et Robert Choulet pour son étude "Contribution de l'effet de sol à la sécurité active des véhicules de compétition" ainsi que Bernard Boyer de Matra.