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Paul Géraldi |
Les maux ne savent seuls venir :
Tout ce qui pouvait m'advenir Est advenu. Que sont mes amis devenus, Que j'avais de si près tenus Et tant aimés ! |
. . | Je crois qu'ils sont trop clair semés :
Ils ne furent pas bien semés, Point n'ont levé. De tels amis m'ont bien trahi, Car tant que Dieu m'a assailli De tous côtés |
. . | N'en vis un seul en ma maison.
Le vent, je crois, les m'a ôtés : L'amour est morte : Ce sont amis que vent emporte, Et il ventait devant ma porte : Les emporta. |
Rutebeuf |
On aime d'abord par hasard
par jeu, par curiosité, pour avoir dans un regard lu des possibilités. Et puis comme au fond de soi-même on s'aime beaucoup, si quelqu'un vous aime, on l'aime par conformité de goût. |
. . | On se rend grâce, on s'invite
à partager ses moindres maux. On prend l'habitude, vite, d'échanger des petits mots. Quand on a longtemps dit les mêmes, on les redit sans y penser. Et alors, mon Dieu, l'on aime parce qu'on a commencé. |
Paul Géraldi |
Le temps passe, la vie se déchire,
le temps trépasse et exaspère de tant de chemin qui reste à faire, de tant d'espoirs qui restent à trahir. Tant de chemin et Elle, si proche, si peu de chemin et Elle, si loin. La vie se traîne, comme s'enchaînent les jours à penser à Elle, à ne penser qu'à Elle, à la regarder sourire, à la voir si belle, à espérer un peu, à tant désespérer tour à tour. |
. . | Mais comment lui dire, comment lui parler,
comment approcher, s'approcher si près, sans avoir honte d'être si petit, d'être si laid, sans fuir sur un doute, sans, lâchement, déserter. Il faudrait se dire qu'elle attend peut-être, oublier qu'elle rira, qu'elle raillera peut-être, croire qu'elle pardonnera peut-être, ne plus avoir peur, ne plus trembler de tout son être. Mais le temps s'écoule qui nous éloigne, et le temps viendra, où, en vous perdant si peu, je vous perdrais tout à fait. |
BdA |
Il est tard, ou trop tôt, peut-être, et ma vie s'enroule de ténèbres,
de ce noir si tenace que rien ne nettoie, et je désespère de ce désespoir sans fin, de ce désespoir immense, de cette vie qui n'en finit pas de se broyer, de ce sablier qui n'en finit pas de s'égrener... J'ai tout raté, simplement, inexorablement, raté ma vie, raté dans la vie. Qui saura que j'ai jamais existé ? qui me pleurera, même un peu, qui me suivra, sur cette route sans fin ? Je regarde ma vie et n'y voit que le néant, qu'un amoncellement hétéroclite de connaissances, d'expérience, d'expériences, qu'un temps infini en questions sans réponses, qu'un bien triste bilan, aussi tristement nul qu'une page blanche salie par les ans. Mais il y a tellement longtemps que je suis mort, que ma vie est partie soudain, qu'Elle est partie soudain, et qu'alors rien, rien ni personne ne m'a consolé, ne m'a aidé, ne m'a secouru. Et je pleure de rage de ne la voir que si mal encore. Quel était son visage ? quelle était la couleur de ses yeux, de ses cheveux ? Un petit nez pointu, des pommettes saillantes, des yeux si rieurs, si rieurs... Je me rappelle son sourire, je me rappelle sa main dans la mienne, elle assis là, tout près, je me rappelle sa chaleur, je me rappelle ces pauses dans le temps, à n'être rien que deux, à n'être rien d'autre que près d'elle, je me rappelle du vacarme de mon coeur, du vacarme de son coeur, je me rappelle que je l'aimais, je l'aimais tant... Qui était-elle ? m'aimait-elle ? Pouvoir lui parler, un peu, pouvoir lui demander... et moi qui n'ai même pas une trace d'elle, pas une photo d'elle, pas un objet d'elle, pas un seul de ses souvenirs qui apaisent l'âme, pas une seule de ces douceurs que l'on peut toucher, caresser, qui guérit cette douleur immense, qui apaise cette frayeur intense... Je me rappelle qu'elle m'aimait, que je l'aimais, qu'elle était mon avenir, qu'elle était mon seul devenir. Mais aujourd'hui je l'aime encore, malgré tous ces gens qui me l'ont volée, malgré tous ces mots qui me l'ont dérobée... Je l'aime comme je l'aimais alors, je l'aime comme personne ne savait, comme personne n'a jamais voulu savoir, je l'aime plus que mon âme, plus que tout, plus que rien au monde. Si... seulement un petit si, une anecdote dans l'infini. elle m'aurait souri, m'aurait serré contre elle, m'aurait accepté près d'elle, j'aurais été si fort, si fort... et aujourd'hui, je serais debout, je serais vivant. Mais la vie nous a déchirés, et le temps qui passe me pèse de rancoeur, me pèse d'incompréhension, et le temps qui passe me coûte si cher à vivre. |
BdA |