- HOMMEL, BERLINETTE ECHAPPEMENT
Elle porte le nom du patron et elle est née chez nos voisins de palier sous nos yeux incrédules.
Après l'avoir conduite, tout est clair. Chapeau, les gars !
Jean-François Malcher, Thierry Étienne, Jean-François Guittard, photos Patrick Sautelet
Je suppose que vous êtes au courant, non ? Le groupe Michel Hommell, notre maison, qui édite Auto Hebdo; Echappement et bien d'autres titres, s'est lancé dans la construction d'une auto. Rappelez-vous le Salon de Paris, cette auto bleue, tout juste finie, y était. Incroyable mais vrai, un patron de presse a choisi de transcender la parole pour passer aux actes en donnant le jour à une sportive que les grands constructeurs n'ont plus le culot de sortir. Inutile de tourner autour du pot, il s'agit bien de la transposition moderne de la berlinette Alpine. Vu comme cela, on pourrait parler d'un coup de tête, surtout par les temps qui courent. Michel Hommell est un fonceur, croyez-moi, il a tout remué dans sa tête avant de sauter le pas. Et puis, la présence de partenaire comme Peugeot ou le Conseil Général d'Ille-et-Vilaine. Les coups de main spontanés de techniciens de pointe prouvent que cette aventure enflamme les enthousiasmes.
- Ainsi soit-elle
La berlinette des années 90 a un père spirituel, elle a aussi un géniteur, Gilles Dupré. Ingénieur Estaca et rédacteur en chef de notre confrère Echappement jusqu'à fin 1992, est celui qui a allumé la mèche. Un anxieux, un perfectionniste, un emmerdeur au coeur pur dont la foi est inébranlable. Il n'en est pas à son premier essai mais, après avoir conduit ce qui se faisait de mieux pendant des années, terrorisé les bureaux d'études par ses questions qui font toujours mouche, il a imaginé sa routière idéale, pure et dure comme il se doit. Le traitement des liaisons au sol est chez lui une véritable obsession.
Histoire de se rassurer avant de plonger dans le vide, il a lancé en avril 1991 un sondage dans son magazine, avec pour résultat un véritable plébiscite cadrant avec ses vues.
Plus de 2000 réponses et une synthèse évidente : "Nous voulons un coupé de style classique, deux places et dépouillé, une propulsion à moteur arrière, un 4 cylindres 16 soupapes comme le Peugeot, un poids inférieur à 900 kg et surtout pas d'ABS". Ainsi soit-elle. Ajoutons pour la vérité quelques exigences difficiles à satisfaire comme une motorisation centrale longitudinale et un prix inférieur à 200.000 F. Quand le vote est tombé, la machine était déjà en marche. Erick de Pauw s'est mis à sa planche à dessin pour tracer les formes de la demoiselle, en tenant compte au passage des suggestions et nombreuses esquisses adressées à la rédaction.
Jorge Clavell a mis en place un programme informatique pour les dessins du châssis. Au rez-de-chaussée de notre siège, un atelier a été aménagé et les partenaires techniques ont immédiatement répondu à l'appel. A commencer par Peugeot et Michelin, suivis de Facom pour l'outillage, Mod'Plastia pour les sièges, Danielson, VDO pour l'instrumentation et enfin Auto Comptoir pour le gros équipement. Bien sûr, du rêve à la réalité, il y a un grand pas et des concessions sont indispensables pour rester dans un objectif de prix raisonnable, avec à la clé une mise en production aussi limitée soit-elle. Gilles Dupré a donc décidé de prélever un maximum d'éléments sur la 405 Mi 16, en passant le groupe propulseur complet, moteur, boîte et suspension, à l'arrière. Le train avant, les freins, les roues font eux aussi largement appel à Peugeot (405 et 605).
Suivant la même règle, Erick de Paw a sélectionné un pare-brise de série : celui de la XM offrait l'inclinaison la plus appropriée.
Jean-Sylvain Dupré et Serge Caulé ont plié et soudé les tubes du premier châssis. Une structure robuste et relativement complexe qui sera simplifiée après essais au stade de la production. Le treillis est recouvert de feuilles d'alu qui ajoutent encore à la rigidité. De la maquette 1/5, on est passé à l'échelle 1, puis au moulage de la première carrosserie. Selon la tradition, la première Berlinette Echappement sera terminée à la dernière minute, juste avant l'ouverture du Salon de Paris 92. L'accueil est plus qu'encourageant, et l'on passe même commande. C'est décidé, la Berlinette sera construite à Lohéac à 50 exemplaires et l'on parle déjà d'une variante découvrable.
- Nous ne demandons qu'à voir...
On choisit ses amis, on ne choisit pas sa famille. Chez nous, on travaille en famille, avec les coups de gueule et les coups de coeur qui s'en suivent. Au début, nous avons suivi l'opération Berlinette de loin, pas vraiment jaloux mais méfiants. Sans parler de "dontologie et de tique". Pas question de faire de la lèche et de tartiner des pages pour se faire bien voir, mais il aurait été encore plus stupide d'ignorer un projet qui cadre avec notre politique rédactionnelle. Petit à petit, nous avons osé mettre un pied dans l'atelier et puis nous avons ouvert le dialogue. Nous ne demandons qu'à voir... Jouant un peu l'intox, nous avons lancé une manière d'ultimatum : "Nous ne parlerons de la Berlinette qu'après l'avoir essayée".
J'ai même ajouté avec toute la mauvaise foi qui me caractérise qu'il était indispensable que cet essai se fasse avec mon service au complet, pour tenir compte de points de vue différents et ajouter de l'objectivité à la chose. A l'heure actuelle, il n'existe qu'une Berlinette qui sert aussi bien au développement qu'aux opérations de promotion. Elle évolue sans cesse, elle est démontée et remontée après chaque sortie. Son agenda est booké, mon pépère et les gens qui l'ont conduite se comptent sur les doigts d'une main.
Ne parlons pas des conséquences désastreuses d'une mauvaise sortie de route, j'espère que les nerfs de Gilles Dupré vont tenir, qu'il ne va pas se manger les doigts après les ongles. Il est tellement pris par son truc qu'il joue avec sa santé. Il a même accepté de nous faire conduire sa voiture, c'est tout dire. Rendez-vous a été pris début juin sur la piste de Folembray, connue pour son revêtement peu adhérent qui se transforme en patinoire par temps de pluie. Et justement, ce jour-là, il a plu. Plusieurs fois, Gilles nous a répété que la Berlinette était en cours d'évolution et qu'en plus elle venait de recevoir des réglages provisoires pour une séance d'essai chez Michelin. Les barres antiroulis, les ressorts Eibach et les amortisseurs Bilstein vivent manipulation sur manipulation.
Michelin joue un rôle important dans la mise au point, mettant à contribution ses pistes, ses essayeurs et ses équipements comme son banc de torture châssis qui a révélé une rigidité de premier ordre. La façon de procéder est très empirique, mais l'intérêt des grands frères permet de conforter les choix. Matra s'est par exemple proposé de contrôler le bilan thermique en montant une panoplie de sondes sur l'auto. La solidarité joue.
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- Le verdict de Johnny
Jean-François Guittard, Thierry Étienne et votre JFM ont donc pu en exclusivité prendre le volant de la Berlinette en toute liberté. Gilles n'est même pas monté en passager - ouf ! - il s'est contenté de nous offrir à chacun quelques tours de démonstration. Le verdict de Johnny Guittard était attendu avec anxiété par notre hôte. Johnny a un sacré coup de volant et il ne mâche jamais ses mots.
Premier jugement, l'esthétique. Je dirais en premier lieu que la Berlinette se révèle mieux en mouvement, sur la route, son élément. Ses formes n'ont pas une séduction immédiate, il faut les analyser avec réflexion pour les appréhender. Le frimeur et le passionné de design que je suis auraient aimé plus d'audace, alors que l'harmonie et la discrétion du dessin, son aspect fonctionnel sont évidents.
"Sous certains angles, la partie avant évoque la GT 40 alors que les roues me paraissent trop petites, ajoute Johnny, cela manque un peu de caractère". Et Thierry d'enchaîner : "L'avant me convient, l'arrière est trop mou. L'adoption de jantes à bâtons devrait dynamiser la silhouette".
C'est prévu. Quand il a été question de prendre le volant, le père Etienne a bondi dans le baquet. Pédalier et volant sont réglables, le siège course est confortable et l'on se sangle comme il se doit avec un harnais. On est surpris par la générosité de la largeur aux coudes. Le maître nous a confié qu'il craignait la claustrophobie. Mission réussie malgré les faibles ouvertures coulissantes. Ecoutons Thierry : "L'intérieur est vaste, le montage transversal de la mécanique a joué un rôle influent. On peut régler le volant en position haute, c'est idéal pour les grands... et même les gros. Le levier de vitesses est placé très haut et tombe tout de suite sous la main mais le pommeau est trop gros".
C'est juste, la commande de boîte est impressionnante par sa taille. Johnny est frappé par le dépouillement de la finition qui "devient sympathique dans son contexte, sur une piste ou une spéciale de rallye. L'instrumentation complète est elle aussi sympa".
Nous sommes unanimes sur la commande de boîte qui est rapide et précise. Mis à part le débattement longitudinal, le maniement est très "course". La boîte n'est plus d'origine 405 de série. C'est une 6 rapports synchronisés mise au point par la SMAN. Son étagement rapproché permet d'exploiter au mieux les 160 ch du 1900 qui cédera bientôt la place au dernier 2 litres catalysé. L'absence d'isolation fait monter la musique, mais la poussée est mesurée avec les 900 kg de ce proto appelé à maigrir.
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- Comportement vif, confort inattendu
Le père Étienne rentre aux stands après quelques tours. On l'écoute : "A haut régime, le moteur a une sonorité course. Dès le premier virage, j'ai trouvé le train avant très directeur. Le train arrière aussi. Houlà ! L'accord de suspension ne me convient pas, l'arrière est trop souple. L'auto est très survireuse tout en offrant une grande facilité de contrôle. On survire, mais l'on peut continuer d'accélérer à fond. La motricité est bonne. Quant au freinage, quand on tape dedans, il est efficace, mais la pédale a trop de course".
Gilles n'est pas surpris, mais pas satisfait. Il nous avait prévenus. Les réglages ne correspondaient pas à la meilleure définition du moment. Une intervention sur les barres antiroulis a amélioré les choses. L'auto a l'air de très bien répondre aux réglages : "Cette fois, je suis plus en confiance et je passe plus vite en virage. Mais il y a toujours trop de roulis. Et puis j'ai été déformé par les tractions avant, j'ai du mal à bien enrouler dans les épingles et la Berlinette me donne envie d'apprendre. Je suis surpris par le confort, il faudra voir ce que ça donne sur route ouverte. Sur piste, je constate que l'adhérence et l'efficacité sont supérieures à la moyenne, mais j'aimerais quelque chose qui vire à plat et retransmet fidèlement ce qui se passe au niveau des roues".
Attention, Johnny Guittard entre en piste. C'est le pilote qui parle : "La commande de boîte est super, presque trop douce au premier abord. Comme la direction qui me paraît presque trop démultipliée pour une utilisation sportive. Les freins sont bons, mais j'ai un peu de difficulté à saisir le point de blocage. Dans le principe, j'approuve la suspension à grands débattements et j'apprécie son confort. Mais les transferts de masse sont trop importants en appui ou au freinage. Mais, on l'a vu, l'auto réagit aux réglages. Le comportement est assez facile à cerner et je le trouve plus enthousiasmant que le look de la carrosserie. On dirait que les concepteurs ont voulu se faire plaisir en créant une auto pure et dure avant de s'auto-limiter et d'ajouter des filtres pour faciliter la conduite de Monsieur Tout Le Monde".
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- Le point de vue du chauffeur de taxi
C'est marrant, bien des choses me séparent de JFG, je suis l'antithèse d'un pilote mais souvent, je pressens les éléments qu'il arrive à pleinement percevoir et analyser. Autant dire que je suis d'accord avec lui. Dans une auto, je suis sensible à L'esthétique (sur tous les plans) et j'attends des sensations. Il me faut, à défaut de facilité de conduite, un caractère facile à cerner pour respecter mes propres limites.
Pour moi, la Berlinette est trop axée sur l'efficacité, elle n'offre pas de marge de puissance pour des sensations faciles. En même temps je suis surpris - agréablement - par son confort et son caractère franc, malgré un survirage qui n'est pas ma tasse de thé. On peut la conduire en chauffeur de taxi, monter tous les rapports sans pousser les régimes.
Je vais vous dire. Dès les premiers tours de roue, j'ai pensé à deux autos de rallye. La Lancia 037 pour la suspension confortable à grand débattement et la Stratos pour la façon de tourner plus vite qu'on s'y attend, avant d'avoir compris, avant d'avoir senti. Pas besoin de se battre avec le volant pour pivoter.
Malgré tout, moi aussi, j'ai eu le sentiment que la direction pourrait être plus directe. En tout cas, je ne me suis pas fait peur. Connaissant le lascar qui a conçu l'auto, je ne m'attendais pas à quelque chose de pareil. En fait, Gilles et sa bande ont trimé comme des fous, sans rien négliger. L'essentiel, tout ce qui tend vers un idéal mais aussi le superflu. Comme ce choix de couleurs, le jaune des tubes pour une caisse bleue ou l'inverse, une harmonie que l'on retrouve dans les bagages qui prendront place derrière les sièges. Beaucoup de travail en somme, plus que des paroles, une dépense d'énergie qui vous oblige à vous incliner. Un spider, réglé moins survireur, je ne dis pas, avec un peu de moquette ou de faux carbone à faire briller...
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