- Deux nouvelles séances d'essais pour notre Berlinette : premiers virages, Michel Hommell au volant, travail chez Michelin et 300 km sur route... autant d'émotions aussi fortes que celles du vrai baptême.
C'est le 12 janvier que, pour la seconde fois, la Berlinette se présente, sur sa remorque, à l'entrée de l'autodrome de Montlhéry. Au programme : un nouveau test sur l'anneau de vitesse puis les premiers tours sur le difficile circuit routier.
Sur l'anneau, nous voulons refaire, plus sereinement, des séries de tours graduellement plus longues et rapides. Le compartiment moteur et le circuit de refroidissement - le radiateur est à l'avant - sont truffés de témoins de température. Peut-être vous rappelez-vous que celle de la boîte de vitesses était un peu trop élevée : les cages de roulements modernes, en plastique, n'apprécient pas. Nous n'avions, alors, même pas ouvert les entrées latérales. Cette fois, de l'air frais alimente le compartiment arrière.
C'est donc à 3 000 tr/mn que nous nous élançons pour un tour. Contrôle. Nouveau départ pour deux tours à 3 500. Et ainsi de suite. A chaque arrêt, la température de boîte est soigneusement notée.
Vérification plus sérieuse avant la dernière série : celle-ci va se dérouler aux environs de 210 km/h et comprendra une vingtaine de kilomètres, sans lever le pied. Pour une voiture affichant seulement 300 km au compteur, c'est un test déjà difficile et l'anneau est toujours impressionnant. Ce n'est pas notre copain Jean-François Guittard, essayeur à Autohebdo, qui nous contredira, lui qui s'envolera au-dessus du rail quelques jours après. Il s'en tirera avec des égratignures... un miracle !
Bref, notre test se passe bien. La ligne droite des stands est encore très mouillée. A la limite de l'aquaplaning, la Berlinette soulève, à chaque passage, un beau brouillard d'eau. Dans les courbures au revêtement inégal, la suspension arrière semble rester trop souple, en dépit de ses ressorts Eibach tout neufs. Finalement, nous avons gagné (tout en roulant plus vite et longtemps) 14° sur la boîte de vitesses.
Les premiers virages sur le circuit routier de Montlhéry ont été aussi émouvants que les premiers tours de roues sur l'anneau de vitesse, le mois dernier.
- Le baptême du "routier"
Le "routier" est un circuit de 6,5 km qui inspire l'humilité. Les essayeurs les plus chevronnés s'y sont fait piéger. Les fameuses cuvette et bosse de Couard contribuent à sa légende, mais la descente Lapize est tout aussi impressionnante. Les rails de protection ou les fossés ne tolèrent pas la moindre faute... surtout au volant d'un prototype unique. Ce jour, le routier est humide et "glissant comme du verglas" selon l'expression d'un confrère qui y essaie la nouvelle Porsche Turbo 3.6. C'est donc avec une prudence extrême et quasiment au ralenti que je boucle les deux premiers tours. En passant aux "Deux ponts", l'épingle d'où l'on s'élance, je salue l'équipe d'un petit survirage, le premier de la Berlinette. Tout le monde a travaillé une bonne partie de la nuit.
Pour l'instant, je n'ai pas encore confiance. La répartition des freins n'a été l'objet d'aucun réglage. Et s'il y avait une prépondérance exagérée sur l'arrière ?
Il est déjà midi. Nous devons faire des photos. Christian Chiquello et Philippe Maitre sont arrivés. Yves Bey-Rozet, lui, s'apprête à conduire une monstrueuse Escort. Nous allons nous baser autour de Couard et du "Gendarme" : en utilisant deux bretelles de raccordement, cela fait un petit circuit sympa.
Et là, progressivement, la Berlinette prend son rythme. Après deux blocages des roues avant, je reporte un peu de frein sur l'arrière, à l'aide de la commande disposée sur la console centrale. Avant d'arrêter, je tire 6 000 tr/mn, tout en ménageant encore notre transmission : le moteur 16 soupapes Peugeot commence à chanter sérieusement.
Michel Hommell a - enfin - conduit la Berlinette.
- Michel Hommell au volant
Maintenant, c'est au tour de Michel Hommell. Michel est un ancien pilote. Il conduit souvent les sportives du musée de Lohéac, qu'elles soient populaires ou monstrueuses. De temps à autre, il sort même les "Groupe B".
Je monte en passager. Le circuit reste glissant. Michel est tout de suite à l'aise. Pourtant, je ne peux me retenir de lui prodiguer des conseils de débutant: "Attention ici, freine fort. Fais gaffe là-bas, dans le gauche !" Ce n'est évidemment pas de lui que je crains une défaillance... mais de la Berlinette !
A sa descente, Michel est enthousiaste. "Dans le Moulinon, ça va être super !" lance-t-il au petit groupe d'amis, témoins de l'événement.
- Premier réglages
Le patron à peine reparti au bureau, nous attaquons une autre séance sur l'anneau. Mais, pendant qu'Yves BeyRozet chronomètre les performances vertigineuses de l'Escort Cosworth Fochesato, Serge Caulé et Gérard Amédro se lancent dans le changement des amortisseurs de la McPherson arrière. Nous allons en essayer de plus fermes.
Quelques tours suffisent pour constater que, s'ils sont vraiment durs aux chocs, la suspension arrière reste globalement trop souple. Peut-être les ressorts ? Direction le routier, à nouveau sur le 6,5 km. La conduite commence à devenir sympathique. A chaque nouveau kilomètre, le rythme s'accélère et le tempérament de la Berlinette s'extériorise. Les grandes courbes sont prises pour la première fois à haute vitesse, en sixième, mais l'arrière semble "piocher". En ce qui concerne les amortisseurs, nous n'enregistrons pas de différence fondamentale. Pour la prochaine séance, chez Michelin, nous recommencerons avec les moins durs.
Nous venons de couvrir 264 km. Le compteur en affiche maintenant 514.
Au chapitre des ennuis : une petite fuite d'essence. Pierre-Yves Gautier, des réservoirs Stac, viendra dès le lendemain à la vitesse du Samu : il ne s'agissait que d'un raccord insuffisamment serré.
C'est en Auvergne, aux alentours des pistes Michelin, que notre Berlinette a affronté l'épreuve de la route.
- Chez Bibendum : l'événement
Déjà, se profile la séance suivante, le 26 janvier, chez Michelin, à Clermont-Ferrand (le centre de recherche et les pistes d'essais sont situés à Ladoux). Pour nous, c'est un événement. La Berlinette est à nouveau complètement démontée et vérifiée. Les géométries de suspensions sont l'objet d'une pleine journée de réglages, d'autant que la dernière fois, la courbe de braquage des roues arrière en débattement ne nous a pas donné pleine satisfaction.
Chez Michelin, la règle n'est sûrement pas de mettre les hommes nominativement en avant. Pourtant, à l'image de Pierre Dupasquier et son inusable tenue de bougnat, ce sont des passionnés. Dès 5 heures du matin, ils prennent notre Berlinette en mains. Ils en vérifient tous les réglages. Jack Faure lui-même, l'ingénieur sous le contrôle duquel nous avons travaillé depuis le début de la conception de nos suspensions, afin d'exploiter au mieux les qualités du pneumatique, est présent. A 8 heures, après une radiographie complète qui nous a valu une retouche du parallélisme avant, c'est le début de l'essai. Bernard Tasset, l'essayeur, est chaleureux, comme tous les techniciens et ingénieurs qui nous entourent. Ils ont préparé différents pneumatiques, tous déjà montés sur les jantes de 605 que nous utilisons : des MXX-3 et de tout nouveaux X-GT.
Bernard monte en passager, le temps de vérifier que tout fonctionne normalement à bord. Nous faisons la tournée des pistes. Puis, c'est lui qui prend le volant, sur le N°3, un circuit de comportement moyennement rapide, pas aussi sinueux que le célèbre "Canard" mais beaucoup moins rapide que le terrible N°1.
"Le train avant semble trop directionnel: on dirait qu'il y a un désaccord entre l'avant et l'arrière" commente-t-il après seulement quelques tours.
"Mais allons sur la route, le circuit ne suffit pas, on peut passer à côté d'un problème" ajoute-t-il.
- Sur la route
Un "W" 63 est apposé sur les plaques et c'est le baptême sur route. Gérard et Serge vont suivre fidèlement dans une autre voiture conduite par un technicien. Bernard peut emprunter chaque petite route de la région, les yeux fermés. Il fait connaissance avec notre Berlinette. Du bout des doigts, en souplesse, il donne parfois des coups de volant si une ligne droite sans circulation le permet. Seule consigne : il faut encore ménager la transmission. "Tu vois, la suspension arrière semble travailler plus que celle de l'avant" lâche-t-il. Retour à l'atelier, après une boucle d'environ 50 km. Les ingénieurs sont là, Jack en tête. Après une brève analyse, nous décidons d'essayer des amortisseurs arrière plus durs. Vérification du carrossage et nouveau départ. A chaque essai, le programme est le même: circuit N°3 et route.
"C'est un peu mieux mais la suspension avant ne travaille toujours pas assez.". De la voiture suiveuse, Gérard et Serge observent les réactions des passants, étonnés. Durant cette boucle, le photographe Michelin, Pierrot, nous a accompagnés mais nous ne lui laisserons que peu de temps. Il faut rentrer à l'atelier. Cette fois, nous modifions les butées progressives des amortisseurs avant pour qu'elles entrent en action plus tard. Et nous recommençons.
Verdict de Bernard : "C'est encore trop dur devant. Si tu as des ressorts plus souples, ça vaut le coup de les monter." D'essai en essai, la nuit est tombée mais l'engouement de Bernard n'a cessé d'augmenter... de même que sa cadence de conduite ! Nous repartons donc avec des ressorts plus souples, non sans avoir procédé au réglage des phares. Chez Michelin, on peut absolument tout faire. Nous commençons à modifier la pression des pneus. "Chaque essai va dans le bon sens mais l'avant reste trop rapide" sera la conclusion de cette journée.
Nous devons encore réaliser un dernier test, sur le N°3 : exploiter au maximum notre boîte 6... c'est une instruction de la SMAN. Le faisceau des phares balaie la nuit. Le moteur chante dans l'habitacle. Bernard enclenche les vitesses à la volée et accélère à fond sans ménagement après chaque passage. Il se livre même à plusieurs départs arrêtés. Et ça tient. Il est plus de 21 heures. Nous décidons d'arrêter.
- La Berlinette affiche maintenant 895 km au compteur. Lorsque vous lirez ces lignes, elle aura été encore complètement démontée et exposée au salon de la voiture de course. A bientôt pour une prochaine séance et la pose de la première pierre de l'usine à Lohéac.
Gilles Dupré, photos Christian Chiquello, Philippe Maitre et Serge Caulé
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