Notes diverses

une mise au point de madame Ségolène Royale
publiée dans le Nouvel Observateur du 13 avril 2000



Pouce, Claude Allègre !

Les propos tenus dans vos colonnes par Claude Allègre me conduisent à sortir de ma réserve car j'y suis citée et associée à une vision du monde enseignant qui n'a jamais été la mienne.
Ni au titre des fonctions que j'exerçais hier ni au titre de celles qui sont aujourd'hui les miennes, je ne peux laisser dire que l'intérêt bien compris des élèves oblige à jouer les parents contre les enseignants alors que je crois, au contraire, au renforcement de leur coopération, dans le respect du rôle de chacun.
Je puis témoigner d'une expérience ministérielle qui m'a montré combien les personnels éducatifs, dépeints comme "allergiques à toute réforme" et otages impénitents d'un "conservatisme désuet", sont majoritairement engagés et mobilisés pour que tous leurs élèves, avec leurs différences et leur droit commun à la réussite, vivent et apprennent mieux à l'école.

Je voudrais rendre ici hommage aux équipes pédagogiques qui s'investissent bien au-delà du minimum professionnel requis, notamment dans les ZEP où le métier ne va pas de soi : elles ont de leur mission une idée suffisamment haute pour croire que l'école peut et doit faire mieux que reproduire les inégalités de la naissance.
Au prix d'efforts soutenus, elles ont su redonner à leurs élèves le goût et les moyens du succès.
Loin des poses sécuritaires mais attentives à l'instauration et au respect d'un ordre juste, elles ont su rétablir le cercle vertueux de la réussite des apprentissages et de l'apaisement du climat scolaire.
Par une offre scolaire de qualité, elles rendent leur école ou leur établissement suffisamment attractif pour y maintenir ou y restaurer une mixité sociale librement consentie.
Sans se prendre pour des héros, ni même pour des hussards, ces équipes s'efforcent d'agir efficacement, d'interroger lucidement leurs pratiques et de comprendre leurs élèves pour les mener le plus loin possible.
Je ne connais pas de professeur qui se résigne de bon coeur à l'échec de ses élèves.

Diaboliser les enseignants ou leurs organisations syndicales ne fut pas ma manière.
J'observe que ni les uns ni les autres n'ont fait systématiquement obstacle aux évolutions que j'ai conduites dans l'enseignement primaire et secondaire.
Je comprend difficilement qu'on tienne pour un titre de gloire l'alliance contre nature, soudée dans la rue, entre les partisans d'une réelle démocratisation de l'école et les nostalgiques élitistes de la ségrégation scolaire.
Je ne peux laisser penser que j'aurais adhéré à cet étrange projet de s'appuyer sur les parents contre les enseignants pour faire bouger l'école.
Je me suis battue hier pour leur coopération, dans le respect des compétences de chacun.
Et j'entends bien continuer à oeuvrer activement pour que les familles et l'école assument pleinement, dans l'intérêt des enfants et des adolescents, leur responsabilité coéducative.
La loi d'orientation de 1989 a institué les parents comme partenaires à part entière de l'institution scolaire.
Comme ministre de la Famille et de l'Enfance, je reste convaincue que l'école doit avancer encore dans le sens d'une plus grande transparence et compréhension par tous de ses règles, en même temps qu'elle doit porter davantage attention aux espoirs dont les familles l'investissent.
Certains préjugés, fruits de la distance sociale, ont encore la peau dure (familles réputées "démissionnaires", "culture d'origine, censée coller aux semelles de la troisième génération...)
De plus en plus d'enseignants s'efforcent de nouer avec les familles un dialogue qui ne soit ni paternaliste ni moralisateur, mais tout simplement respectueux.
Les familles, dès lors qu'elles se sentent non pas disqualifiées et stigmatisées mais reconnues et accueillies, s'impliquent plus activement ; non comme "consommatrices d'école" mais pour ce qu'elles sont: corresponsables avec l'école de l'éducation de leurs enfants.

Ségolène Royale