- Très originale, la ligne de la Lotus Europa Special est souvent controversée. Elle ne manque pourtant pas d'un certain charme : ce charme qui confère aux créations de Chapman la recherche de l'efficacité hors des normes établies.
C'était en 1974. La "Crise" avait raté de peu la fin du sport automobile en France, Giscard était élu pour sept ans, Polymark importait les Lotus et dans une publicité d'Echappement on pouvait lire : "Roulez en monoplace, à deux"... Cette annonce vantait les mérites de la Lotus Europa Special, aussi appelée Europa "Twin Cam". Un petite voiture conçue par Colin Chapman, légère et efficace comme il savait les faire, utilisant au mieux les enseignements de la course aux plus hauts niveaux. Nous avons retrouvé un des plus beaux exemplaires de cette voiture qui roule en France : nous avons retrouvé avec elle cette sensation étrange de rouler sur la route dans une voiture de course...
Septembre 1972. La Lotus "Europe", qui tenait son nom du fait qu'elle utilisait un châssis anglais et un moteur français (en l'occurrence celui qui équipait les Renault 16 ! ), devient "Europa Spécial". Cette fois, elle utilise un moteur typiquement britannique, le Lotus Ford 1600 à deux arbres à cames en tête. Elle gagne dans la transformation quelque 45 chevaux, et devient ainsi une vraie voiture de sport, en plus d'une vraie Lotus. Cent vingt-six chevaux, pour à peine plus de 700 kilos, voilà un rapport intéressant : un rapport digne de Colin Chapman... Ajoutez à cela le moteur central, une roue à chaque coin, 1,64 m de large et seulement 1,09 m de hauteur, ça fait plus proto que corbillard...
- 65 000 km d'origine !
- Michel de Reu a acheté sa Lotus Europa Special neuve en 1975. Depuis, il ne s'en est jamais a parcouru 65 000 kilomètres, et il n'a jamais utilisé d'autre voiture. Les vacances, c'est le domaine de la Lotus, avec Madame, les bagages et même le parasol !... Autant dire que la voiture qu'il nous a confiée est une exception, tout au moins en France. Et ce, d'autant plus que son état est tout à fait extraordinaire. En 1978, à la suite d'un petit accrochage, Michel de Reu a fait repeindre entièrement la voiture dans sa teinte d'origine. Mais il l'a fait chez Lecoq, en toute simplicité... Les quatorze couches de vernis, les filets dorés peints à la main en remplacement des filets autocollants d'origine, cela donne une grande classe à cette auto qui a une teinte peu commune. Le vernis est si épais sur le polyester qu'on prend plaisir à caresser les formes doucement anguleuses de la petite anglaise... Sous le pâle soleil d'hiver, la Lotus de Michel de Reu accrochait des reflets curieux : la "profondeur" de la peinture vernie se parait d'images déformées de grands arbres roux.
Un habitacle étriqué mais dans lequel on se sent bien. Du cuir, du bois, une position très allongée, une voiture de course de luxe, quoi...
Descendez, on vous demande...
- Un mètre zéro neuf, quand vous êtes normalement constitué, cela représente à peu près le niveau de la casquette du nain Pierral par rapport à la ligne bleue des Vosges... La hauteur hors tout de la Lotus Europa Special se situe à ce niveau-là, et la première fois que vous voulez faire pénétrer un mètre quatre vingt de Français moyen dans cet habitacle pour lilliputien, vous avez tendance à envisager de faire plusieurs voyages.., Il faut se pencher pour attraper la poignée, il faut se pencher encore plus pour se glisser à l'intérieur. Cela dit, une fois qu'on a réussi à s'osmoser avec la belle, on se trouve idéalement installé. Le pédalier est plutôt étriqué, le siège maintient mal, le volant est trop grand, mais on se sent finalement tellement coincé là-dedans qu'on n'a plus envie d'en sortir... Le bras gauche s'appuie sur la généreuse garniture de porte, le bras droit repose sur l'imposante console centrale, il ne reste plus qu'à jouer du poignet droit pour manoeuvrer le petit levier de vitesses. Derrière le volant de cuir, les compteurs sont stricts : 220 km/h, 6 500 t/mn. Voilà ce qu'on peut rêver d'atteindre... Souligné de joli bois anglais, le tableau de bord offre une instrumentation des plus complètes, et relativement précise. La température d'eau que l'on a tendance à surveiller de près quand on s'installe dans une voiture anglaise, suit sagement les caprices des embouteillages et du ventilateur à thermostat. Comme sur toutes les voitures en polyester, la portière se ferme avec un bruit mat et demande une insistance peu commune. Ce simple geste isole celui qui va conduire une Europa Spécial du reste du monde. L'insonorisation est efficace certes, mais surtout on se retrouve au niveau des moyeux des autres voitures, ce qui suffit en soi à vous transporter dans un autre monde. Le nez à la hauteur des échappements des taxis, vous rêvez vite de grands espaces, et de routes sans tunnels. Cela dit, la Lotus Europa Special est plutôt confortable : les baquets ne maintiennent pas beaucoup, mais ils sont tellement coincés entre la portière et la console que le pilote ne bouge presque pas. Les appuis que l'on peut prendre sont importants, ma si le volant est tout à fait bien placé pour qu'on s'accroche à lui... Cette voiture au fond est accueillante : on n'y est pas à l'aise, on y est bien...
Le comportement de la Lotus Europa Special rappelle effectivement celui des voitures de course. Efficace, très vive, elle vous fait vite passer de la conduite au pilotage, du pilotage au plaisir...
Tringlerie de boîte dans le plus pur style "course" mais très "surdimensíonnée"...
L'héritage de course
- Une Lotus des années 70, c'est une voiture de course avec des vitres électriques et un emplacement pour la radio. L'Europa Special ne renie pas ses origines : le bruit du 1600 double arbre en prise directe dans les oreilles, la position très allongée, les commandes fermes mais directes et précises, tout cela concourt à vous mettre dans l'ambiance: cette auto a été conçue par Chapman, pas par Dunlopillo... Commandes précises... N'exagérons pas ! La commande de boîte demande une certaine accoutumance. Le petit levier est agréable, mais le troisième rapport se trouve surtout par hasard, faute d'un guidage précis, et certains passages se font difficilement, surtout à froid. Pas surprenant pour une boîte signée Renault... Plus surprenant d'ailleurs, l'excellent étagement de cette boîte française : 1 000 tours d'écart d'un rapport à l'autre jusqu'à la cinquième, voilà qui relève tout de suite la note de l'agrément de conduite. L'agrément de conduite, c'est justement le point fort de l'Europa Special ! La publicité des années 70 n'était pas tout à fait usurpée : on retrouve au volant de cette voiture beaucoup de sensations révélées en monoplace. Le rapport poids/puissance favorable, le moteur central, la boîte bien étagée et directe, la pédale de freins efficace dés qu'on la brutalise un peu, l'embrayage plutôt ferme, la direction directe (qui n'exclut pas un rayon de braquage important), la position allongée devant le moteur, tout cela rappelle ce que l'on ne peut avoir éprouvé qu'au volant d'une voiture de course... Le bois sur le tableau de bord, les ceintures à enrouleurs, les vitres électriques ne sont pas de la poudre aux yeux des acheteurs pas tout à fait assez inconditionnels... La Lotus Europa Special, c'est du piment rouge dans une bonbonnière... Sur la route, le comportement est très agréable : entendez par là qu'il est efficace et qu'il ne pose pas de problèmes. Certes, cette auto a des réactions très vives, certes sur le mouillé, elle oublie de "téléphoner" ce qu'elle va faire comme le faisait par exemple une Elan, il n'empêche que la tenue de route est étonnante pour une auto de cette époque. La Lotus Europa vire à plat (avec les cotes qu'elle a, comment pourrait-elle faire autrement, d'ailleurs ?...), elle enroule facilement les courbes au gré des coups de volant, tout au plus a-t-elle tendance à lever la roue avant intérieure dans certains appuis, mais sans "piocher". comme le faisaient certaines Porsche 911 aux suspensions trop souples. L'équilibre de cette petite voiture est très agréable, et on passe vite de la conduite au pilotage sans s'en apercevoir, presque sans le vouloir, même à des vitesses disons raisonnables...
Onze années dans les mêmes mains, 65 000 kilomètres, et une peinture de chez Lecoq, cela donne une des plus belles "Europa" françaises...
Pourquoi pas vous ?...
- Les Lotus sont plutôt rares en France : l'importation et la distribution de ces voitures ont toujours été plutôt confidentielles. Au fil des ans, le "parc" s'est pourtant constitué, et même si les Europa Special ne sont pas les plus nombreuses, elles ne sont pas introuvables. Leur relative rareté leur donne une valeur inattendue : si l'on peut tabler entre 70 000 et 90 000 F pour une auto en bon état, Michel de Reu espère une évaluation de sa voiture aux alentours de 120 000 F lors de la prochaine expertise.. Cela peut sembler "un peu beaucoup" mais il est vrai que ce modèle est dans un état exceptionnel. Les Lotus ont toujours eu une réputation de fragilité : en fait, il faut savoir qu'un moteur doit être démonté (et souvent refait) tous les 50 000 kilomètres. Cela peut étonner mais le sang bleu a ses faiblesses... Cela dit, moyennant un entretien suivi et bien fait, on peut utiliser pleinement les possibilités (surprenantes) de ce petit 1600. La Lotus Europa Special est une auto extrêmement agréable, au volant de laquelle on n'a pas cette impression de déjà vu que nous donnent nos "GTi" actuelles. Rouler en monoplace est un plaisir exceptionnel, elle vous le procure pour le prix d'une R18 Diesel, et en plus... elle a deux places !
Pierre Barbaza, photos Christian Chiquello
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