Comme un voleur de nuit, chez vous, la mort avide
S'est glissée ... Et voilà qu'il dort sous le gazon, Le beau petit enfant, lui qui dans la maison Tenait si peu de place et laisse un si grand vide ! Quand le fil de nos jours lentement se dévide Sur le fuseau fatal, et que notre toison Tombe mûre et jaunie, à l'arrière-saison, Insensé qui se plaint du moissonneur livide ! |
Mais qui donc, avec vous, qui ne gémirait pas,
Voyant que votre Abel se lasse au premier pas, Que son rire si vite en un râle se change ? Pourtant, réfléchissons que Dieu dut bien l'aimer, Puisqu'il le prend à l'âge où, sans le transformer, De l'enfant rose et blond il va se faire un ange. |
C'est la huitième journée
De la bataille donnée Aux bords du Guadalèté ; Maures et chrétiens succombent, Comme les cédrats qui tombent Sous les flèches de l'été. Sur le point qui les rassemble Jamais tant d'hommes ensemble N'ont combattu tant de jours ; C'est une bataille immense Qui sans cesse recommence, Plus formidable toujours. Enfin le sort se décide, Et la Victoire homicide Dit: `Assez pour aujourd'hui !' Soudain l'armée espagnole Devant l'Arabe qui vole Fuit ... Les Espagnols ont fui ! Rodrigue, au bruit du tonnerre, Comme un vautour de son aire, S'échappe du camp tout seul, Sur son front, altier naguère, Jetant son manteau de guerre, Comme l'on fait d'un linceul. Son cheval, tout hors d'haleine, Marche au hasard dans la plaine, Insensible aux éperons; Ses longs crins méconnaissables, Ses pieds traînent sur les sables, Ses pieds autrefois si prompts. |
Dans une sombre attitude,
Mort de soif, de lassitude, Le roi sans royaume allait, Longeant la côte escarpée, Broyant dans sa main crispée Les grains d'or d'un chapelet. Les pierres de loin lancées, Par son écu repoussées, En ont bosselé le fer ; Son casque déformé pèse Sur son cerveau, que n'apaise Signe de croix ni Pater. Sa dague, à peine attachée, Figure, tout ébréchée, Une scie aux mille dents ; Ses armures entr'ouvertes Rougissent, de sang couvertes, Comme des charbons ardents. Sur la plus haute colline Il monte; et, sa javeline Soutenant ses membres lourds, Il voit son armée en fuite, Et de sa tente détruite Pendre en lambeaux le velours ; Il voit ses drapeaux sans gloire Couchés dans la fange noire, Et pas un seul chef debout ; Les cadavres s'amoncellent, Les torrents de sang ruissellent... Le sien se rallume et bout. |
Il cria: `Ah ! quelle campagne !
Hier de toute l'Espagne J'étais le seigneur et roi : Xérès, Tolède, Séville, Pas un bourg, pas une ville, Hier, qui ne fût à moi. `Hier, puissant et célèbre, J'avais des châteaux sur l'Čbre, Sur le Tage des châteaux. Dans la fournaise rougie, Sur l'or à mon effigie Retentissaient les marteaux. `Hier, deux mille chanoines Et dix fois autant de moines Jeûnaient tous pour mon salut; Et comtesses et marquises, Au dernier tournoi conquises, Chantaient mon nom sur le luth. `Hier, j'avais trois cents mules, Des vents rapides émules, Douze cents chiens haletants, Trois fous, et des grands sans nombre Qui, pour saluer mon ombre, Restaient au soleil longtemps. |
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